Rimbaud et Verlaine iront-ils dormir au Panthéon ?
C’est un véritable coup de tonnerre qui s’abat sur le monde de la culture. Depuis plusieurs jours, une pétition circule pour revendiquer l’entrée au Panthéon des deux grands poètes français Paul Verlaine et Arthur Rimbaud. Une décision qui crée de nombreuses discordes dans le cercle des intellectuels et chez les descendants...
Un élan de voix
Plus d’une centaine de philosophes, écrivains, scientifiques et personnalités politiques ont lancé une pétition adressée au président de la République pour demander l’entrée de ces deux grandes figures littéraires au Panthéon. Parmi eux, Annie Ernaux, Michel Onfray, Edgar Morin, l’actuelle ministre de la culture Roseline Bachelot ainsi que la majorité de ses prédécesseurs. A l’origine destiné à être une église qui abriterait la châsse de sainte Geneviève, ce monument honore depuis la Révolution française les grands personnages qui ont marqué l’histoire de France. Parmi Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Victor Hugo, Alexandre Dumas et Jean Jaurès y est inhumée l’ancienne ministre Simone Veil depuis le 1er juillet 2018.
Le réveil de la famille
La famille a rapidement réagi à cette pétition lancée sans leur accord. Vendredi dernier, Jacqueline Teissier-Rimbaud, l’arrière-petite-nièce d’Arthur Rimbaud, s’est formellement opposée à l’entrée du poète au Panthéon aux côtés de Paul Verlaine. « Rimbaud est né à Charleville-Mézières, il reste à Charleville-Mézières, avec toute sa famille » insiste-t-elle. En plus de vouloir le déterrer du caveau familial, les descendants s’indignent que l’on associe inlassablement sa figure à celle de Verlaine comme des amants de toujours, alors que la relation n’a duré que quatre années de sa jeunesse. Dès ses 24 ans, Rimbaud a lâché ses manuscrits pour devenir trafiquant d’armes en Afrique, où il a vécu avec une jeune femme. Ainsi, le réduire à cette icône homosexuelle reste une méconnaissance de sa vie, selon Alain Tourneux, président de l’association des Amis de Rimbaud.
Un déchaînement des passions
A l’initiative de cette démarche : le journaliste Frédéric Martel, l’écrivain Nicolas Idier et Jean-Luc Barré, l’éditeur d’une biographie de Rimbaud. C’est en découvrant la tombe du poète dans le cimetière de Charleville-sur-Mézières que les trois personnalités se sont indignées : en effet, celui-ci repose dans un lieu qu’il maudit, aux côtés de « son ennemi et usurpateur Berrichon », un poète mineur qui fit du tort à sa postérité. Peu de temps après, une visite au cimetière des Batignolles les désole de plus belle, percevant les cendres de Verlaine « sous d’affreuses fleurs en plastique », dans le bruit du périphérique.
Les trois hommes se mettent rapidement d’accord sur une chose : sortir les deux poètes de leurs caveaux sinistres pour les transférer au Panthéon. Du fait des nombreuses discordances entre Verlaine et Rimbaud – le premier ayant tiré sur le second deux coups de revolver – la pétition insiste sur le fait qu’ils entreraient « en même temps » et non en couple dans une tombe commune.
Il a fallu attendre peu de temps avant de voir éclore les premières contestations de certains intellectuels. Ainsi, plusieurs journalistes, comme Etienne de Montety du Figaro, y voient un acte absurde. Selon lui, Rimbaud et Verlaine étaient « trop libres pour entrer au Panthéon ». Leurs personnalités insolentes et indépendantes n’auraient rien à faire dans un monument poussiéreux au service de la patrie. Une vie de bohème qui doit justement avoir sa place dans ce haut lieu du patrimoine français, selon Frédéric Martel. Pourquoi le Panthéon ne pourrait-il pas accueillir « ses rebelles et ses saltimbanques », ceux qui ont participé à sa révolution intellectuelle ?
L’ambigu Panthéon
Ce vaste débat nous ramène à une question initiale : quel rôle donner au Panthéon ? S’il est désigné comme un lieu de mémoire pour les personnalités qui se sont engagées publiquement au service de la France, Rimbaud et Verlaine ne semblent pas de ceux-là. Si on estime, en revanche, qu’il doit être un lieu réunissant les grands esprits de la culture française, ceux à qui l’on doit un véritable bouleversement de la pensée, ils y trouvent amplement leur place. Reste alors à repenser le discours fait sur les « panthéonisés », au risque de leur attribuer trop souvent une image poussiéreuse et conservatrice.
La démarche peut donc être honorable si l’on estime que le Panthéon doit célébrer la littérature et les arts, les révoltés et les contestataires à qui la France doit énormément. Une manière aussi de redorer le blason de ces disciplines trop souvent mises au second plan face aux actions politiques et militaires. Un monument des révolutionnaires ? Cela semble en premier lieu contradictoire, mais pourrait bien apporter au Panthéon bien plus de sens qu’il n’en a déjà.