L'hommage d'Henri Landier à son épouse Romaine à l'Atelier d'art Lepic
Atelier d'Art Lepic
Prolongation du 15 au 30 juillet
L’adieu à une femme aimée
L'Atelier d'Art Lepic rend un merveilleux hommage à Romaine Landier, épouse du peintre et graveur Henri Landier disparue en novembre 2019, avec cette exposition intime qui dévoile la femme aimée transfigurée par l'art.
Lorsqu’un être cher disparaît et que le souvenir de son visage commence à s’estomper, il reste toujours les photos pour entretenir sa mémoire. Mais quand les couleurs de celles-ci s’estompent à leur tour, les coins jaunissants rebiquant sous l’effet de l’humidité dans l’album de famille, que reste-t-il ?
Le visage de Romaine Landier, l’épouse du peintre et graveur Henri Landier disparue en décembre 2019, n’a pas à s’inquiéter. Il survivra à la mémoire de ceux qui ont partagé la vie de Romaine, ainsi qu’aux tirages argentiques, grâce aux nombreuses œuvres de son mari la représentant.
Pendant les 57 années qu’ils ont partagées, Henri n’a eu de cesse de peindre Romaine, sous toutes les coutures, dans toutes les positions, habillée comme nue, en pied ou en portrait, jeune et moins jeune. L’Atelier d’art Lepic, dont chacune des expositions nous fait redécouvrir l’œuvre d’Henri Landier, consacre en ce début d’été une belle exposition à celle qui inspira l’artiste des décennies durant, à l’atelier comme au foyer.
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À Romaine, 1943-2019, la vie en peinture d’une femme moderne nous fait découvrir la manière dont Henri Landier a sublimé la figure de la femme aimée, tout en nous offrant une plongée dans l’intimité de Madame Landier. Modèle de prédilection d’Henri, Romaine prêta d’innombrables fois ses traits aux coups de pinceaux de son époux.
Les tableaux de ce dernier la représentent tantôt en jeune fille (Romaine à la mèche bleue) tantôt en grand-mère (Maminou), dévoilant la muse (La Femme au chapeau de paille), l'intellectuelle (La Bayadère), la femme archétypale (La Dormeuse mauve), l'amante (Nu estival), la mère (Maternité jaune), la voyageuse (Confidences praguoises) ou encore l'enseignante (Parfum de pêche).
Autant de facettes de la personnalité d’une femme moderne que l’on découvre à travers des nus mêlant érotisme charnel et couleurs parfois lugubres, de tendres portraits aux influences cubistes où Romaine se prélasse avec son chat ou lit, et des œuvres plus oniriques où l’épouse redevient muse dans des habits blancs et larges de Pierrot lunaire.
Sorte de journal illustré d’un compagnonnage long de près de six décennies, la soixantaine d’œuvres exposées nous dévoilent les moments et les lieux importants de la vie du couple, témoignage émouvant transfiguré par le pinceau d’un artiste attendri. Bouleversant.
The Atelier d’art Lepic pays a beautiful tribute to Romaine Landier, wife of the artist Henri Landier gonne in December 2019, through the colorful and cubist-like paintings of his husband. A moving exhibition that unveils the intimacy of a modern woman who was at the same time a woman, a lover, a muse, a wife and a mother.
Critique de l'exposition par Alexandra Ermakoff :
En novembre dernier, Romaine Landier s'est éteinte. En ce printemps 2020, l'Atelier d'art Lepic rend hommage à celle qui fut la compagne et la muse du peintre Henri Landier durant plus de cinquante ans de vie commune. A travers une soixante d'œuvres, l'artiste tire un dernier salut à cette femme de caractère qui inspira et soutint son travail depuis leur rencontre au début des années 1960 jusqu'à son dernier souffle. C'est précisément en 1962, à Caen, que Romaine Landier, alors Le Meur, croisa la route de ce jeune peintre exposé, aux côtés de ses amis Bernard Buffet et Gen Paul, à la librairie-galerie internationale Au XXe siècle tenue par Geneviève et Bernard Bedel. Liés par leur amour de l'art, de la littérature et de la philosophie, ces deux jeunes gens ne tardèrent pas à l'être par le mariage. Elle fut séduite par son talent, son courage obstiné de poursuivre une carrière artistique dont le succès était incertain et restait encore à bâtir et surement par son habileté à manier le verbe et sa curiosité insatiable. Quant à lui, élevé à une époque où les femmes n'étaient pas indépendantes, il ne put qu'être admiratif de cette jeune institutrice fière et ambitieuse qui ne tarda pas à devenir son modèle de prédilection.
En 1963, ils découvrirent ensemble la Provence où Landier acheta une vieille bergerie en ruine qu'ils rebâtirent tous deux main dans la main. Dans ce nouvel atelier au cœur du petit Luberon où la nature règne en maîtresse, elle pose souvent la poitrine découverte et lui inspire des portraits sensuels tels que Romaine au chapeau de paille et, beaucoup plus tard, Quiétude de la rêveuse. Elle n'a aucune honte à être représentée dans la plus stricte intimité car, à l'aube de mai 1968, elle se considère déjà comme une femme décomplexée. Mais ce n'est pas seulement son caractère d'amante qui inspire son époux. Dans les années 1973-1974, elle l'invite à l'école à aires ouvertes de Saint-Merri, où elle travaille et pratique la pédagogie Freinet, et Landier, qui réalise alors de nombreux dessins de ses élèves se lance dans une série sur l'enfance. Il produit des aquarelles à tendance cubiste et des huiles au couteau dont la lourde couche picturale ne ressemble en rien aux grands aplats colorés qui caractérisent aujourd'hui son travail. Fillettes et garçonnets prennent, sur la toile, des allures majestueuses d'une grande intériorité. C'est aussi l'occasion pour Landier de représenter sa femme, quelques années plus tard, sous ses traits de mère. En 1976, il peint Maternité jaune dont la composition n'est pas sans rappeler la traditionnelle structure pyramidale des peintures de Madone à l'Enfant et autre Sainte Famille. Preuve qu'il est en train de se défaire de la fidélité aux couleurs de la nature, il représente Romaine à travers un prisme multicolore. Sa peau se teinte de vert, de violet, d'ocre jaune, de bleu... Il ne veut plus transmettre la simple réalité du visible, il veut transmettre sa réalité et dans sa perpétuelle étude de la peinture, Romaine continue à être son sujet de prédilection. Parfois elle se fait comédienne de la commedia dell'arte et revêt le costume de Colombine au sein des œuvres du même nom. Au milieu des années 1985, alors que son mari entame sa période japonisante, elle endosse le kimono et pose dans des attitudes d'une grande sérénité voire hiératiques, notamment dans l'aquarelle Romaine au kimono, exceptionnelle par son aspect solennel et ses dimensions. A partir des années 2000, Henri Landier la met en scène dans de vastes huiles sur toiles colorées aux courbes souples et arrondies. Elle est tantôt l'épouse complice à Roussillon, tantôt l'intellectuelle méditative dans La liseuse au scarabée devant Sainte-Victoire, tantôt une allégorie de la mélancolie dans Romaine pensive, ou encore l'institutrice qui enseigne la lecture à son petit-fils dans Parfum de pêche. En définitive, cette exposition retrace en images – à travers dessins, gravures, huiles sur toile, gouaches et autres aquarelles – la vie de la femme indépendante, déterminée et parfois même acharnée que fut Romaine Landier, institutrice passionnée, féministe convaincue et source de création intarissable auprès de son mari.