L'exposition éblouissante des Nuits Électriques au MuMa
MUMA
du 3 juillet au 29 octobre 2020
Qui dit « impressionnisme » dit souvent « couchers de soleil », « jours de brume », « après-midi ensoleillés »… Mais peindre la lumière, c’est aussi explorer l’obscurité. Le MuMa nous offre ici un éclairage inédit sur l’avènement de l’électricité et son influence sur les peintres dans une exposition brillante qui a été reconnue d’intérêt national. 170 chefs-d’œuvre sont ici exposés, nous menant de l’apparition des premiers lampadaires dans les rues en 1850 à l’orée de la guerre en 1914. Une véritable traversée des contrées obscures, oscillant entre ombres et lumières, réunissant les plus grands peintres français – Caillebotte, Monet, Pissarro, Toulouse-Lautrec, Bonnard, van Dongen ou Sonia Delaunay – aux côtés de leurs homologues européens souvent moins connus, mais que l’on prend un immense plaisir à découvrir comme le Britannique Atkinson Grimshaw qui aura une influence majeure sur Monet.
Une immersion extraordinaire dans la pénombre du XIXe siècle, au moment où les ruelles nocturnes s’éclairent d’une nouvelle lumière, où les cabarets font durer la fête jusqu’au petit matin, et où les maisons se dotent de leurs premières lampes électriques. Pour les impressionnistes – comme pour toute la population d’ailleurs – c’est une révolution. La lumière, leur sujet de prédilection, d’obsession même parfois, ne cessera plus. Un éclairage artificiel dont ils se méfieront au début, eux qui étaient si attachés aux variations naturelles de l’atmosphère. Les illuminations urbaines prennent alors la place des étoiles. Nostalgie d’un monde révolu. Une appréhension vite balayée par leurs successeurs, les postimpressionnistes, qui se passionneront pour ces scènes chargées de mystères, s’aventurant dans des expériences visuelles presque scientifiques, jouant sur les tonalités complémentaires, les teintes chaudes et froides pour dépeindre ces nouveaux effets. Rougeoyante, tamisée, blafarde, éblouissante, festive, c’est la naissance de la nuit moderne.
Le réverbère, qui remplace les lanternes à huile suspendues, devient un personnage à part entière dans les toiles, un nouveau figurant qui restructure les compositions et fragmente le cadre avec sa silhouette verticale imposante. De jour comme de nuit, ce nouvel élément perturbe et fascine les peintres. Caillebotte coupera son tableau en deux dans sa Rue de Paris, temps de pluie, encadrant le couple qui avance vers nous abrité par un parapluie ; Henry van de Velde équilibrera le portrait qu’il fera de son frère Laurent, absorbé dans sa lecture, avec en contrepoint un réverbère en arrière-plan. Prêtez attention dans l’exposition à l’œuvre La Charge, peinte par André Devambez en 1902, représentant une troupe de policiers en train de réprimer une manifestation à la lumière aveuglante d’une lampe à arc. Nul ne sait Peu importe ici l’appartenance politique des manifestants, ce qui compte pour le peintre c’est l'archétype de la confrontation avec les forces de l'ordre, avec en point central… un réverbère comme une épée élancée au milieu de la foule. Une peinture d’une étonnante actualité malgré ses 118 ans. Détail amusant, ce tableau orna pendant près de 10 ans le bureau du préfet de police de Paris. L’exploration de l’obscurité continue avec le crépuscule, ses ruelles désertes péniblement éclairées et moyennement rassurantes, ses vues portuaires aux reflets électriques scintillants, ses soirées endiablées au Moulin Rouge, ses bals du 14 juillet… Des œuvres qui nous invitent à réfléchir, plus largement, à notre rapport intime au progrès, aux mutations d’un monde en perpétuelle métamorphose. Le résultat est flamboyant, le courant passe, on en ressort électrisé.
Lorsque vous pénétrez au MuMa du Havre, vous êtes éblouis par les jeux d’ombres et de lumières des 150 œuvres, peintures, photographies, aquarelles ou gravures présentées ici. Dans l’une de ces œuvres flamboyantes, Féérie nocturne, Maxime Maufra offre une vue de la Tour Eiffel illuminée, du Champ de Mars et du Palais du Trocadéro se reflétant sur la Seine.
La lumière électrique nous semble évidente de nos jours, à tel point que l’on n’y prêterait presque plus attention, à l’inverse des impressionnistes dont la curiosité a été piquée au vif par l’apparition de l’éclairage artificiel, au XIXe siècle, illuminant la nuit, pendant longtemps restée obscure. Aux lanternes et aux réverbères à huile, lumières vacillantes, ont succédé le gaz puis la fameuse « fée électricité », diffusant une lumière plus fixe et modifiant ainsi l’apparence du paysage environnant.
L’exposition montre la manière dont les artistes ont vécu ce grand bouleversement. « Les Impressionnistes ne se limitent pas aux représentations du paysage mais ont pleinement été témoins de leur temps.», explique Philippe Piguet, commissaire général du festival Normandie Impressionniste. Certains ont été fascinés par ce progrès technique, comme Henri Le Sidaner qui représente la Place de la Concorde sous la flamboyance des réverbères, tandis que d’autres manifestent une véritable nostalgie de l’obscurité naturelle, à l’instar de Léon Kaufman avec son Papillon de nuit, baigné dans la pénombre.
A la loupe : Claude Monet, Le Port du Havre, effet de nuit (1873)
Si l’on est habitué à contempler des paysages de Monet baignés de lumière comme Impression Soleil Levant, ses peintures de la nuit se font en revanche plus rares. Monet s’attache ici à représenter les effets de lumière dans l’obscurité sur le Port du Havre. L’huile sur toile semble presque abstraite tant les couleurs et les formes sont estompées. Mais en s’attachant aux nuances et aux détails, on parvient néanmoins à deviner les voiles des bateaux et leurs reflets dans l’eau, presque imperceptibles. Éblouissant.
Le saviez-vous ?
Le Havre a été un précurseur de cette révolution de l’éclairage urbain en étant l’une des premières villes à abandonner le gaz au profit de l’électricité, en 1889. De même, cette ville portuaire fut le cadre de l’une des rares représentations impressionnistes de la nuit : Claude Monet y a peint Le Port du Havre, effet de nuit, œuvre présentée de manière exceptionnelle dans cette exposition.
MUMA - MUSÉE D’ART MODERNE ANDRÉ MALRAUX
2 boulevard Clémenceau, 76600 Le Havre