Willem de Kooning et Chaïm Soutine. Un face à face retentissant exposé au Musée de l'Orangerie
Musée de l'Orangerie
Du 15 septembre 2021 au 10 janvier 2022
Une première : confronter l’œuvre de Chaïm Soutine, l’un des grands peintres de l’école de Paris d’origine russe, avec celle de Willem de Kooning, figure emblématique de l’expressionnisme américain. C’était un pari osé. Qu’ont-ils donc en commun ? Le musée de l ‘Orangerie nous propose une exposition remarquable réunissant un ensemble exceptionnel de peintures de Soutine mises en regard des toiles magistrales de cet icône de l’art moderne qu’est Willem de Kooning. Des personnages difformes, des paysages hallucinés, des natures mortes écorchées vives, comme cette carcasse de bœuf directement inspirée de Rembrandt. Soutine passe le monde au scalpel, déformant ce qu’il voit jusqu’à imprégner ses toiles de son regard anxieux. Figurer l’informe, peindre la chair, s’exprimer par le geste. Au même moment, entre les deux guerres, la peinture se cherche. Il faut trouver quelque chose de nouveau pour réinventer cet art. Entre figuration et abstraction, de Kooning veut trouver une troisième voie, un nouveau langage. Dépasser les clivages traditionnels pour donner une nouvelle dimension à la peinture. Depuis les années 30, une œuvre le hante : c’est celle de Soutine qu’il a découverte dans sa jeunesse et qu’il retrouvera en 1950 dans la splendide rétrospective du MoMa de New-York. Pour lui c’est une évidence. L’artiste saisit l’immatérialité des œuvres de Soutine, de la matière projetée, empâtée et égratignée à vif. La matière comme sujet, une force expressive sans égale à laquelle il mêle le bouillonnement et la modernité de New York. Entre deux époques, entre deux artistes, le temps est désormais au dialogue. Des peintures éruptives à la palette violente et contrastée et aux épaisseurs irrégulières dans le sillage d’un Van Gogh envouté, guidé par la gestuelle fiévreuse de l’artiste, nous découvrons comment cette rencontre artistique aura changé le cours de l’histoire de l’art.
On a visité pour vous l'exposition dont voici quelques clichés :
De la matière projetée, empâtée, égratignée à vif. Entre deux époques, entre deux artistes, le temps est désormais au dialogue. Chaïm Soutine (1893-1943) tout d’abord, ce peintre de l’Ecole de Paris d’origine russe, dont l’œuvre tortueuse et révolutionnaire reste trop souvent méconnue malgré son retentissement spectaculaire dans les virages de l’abstraction. En face, Willem de Kooning (1904-1997), figure majeure de l’Expressionnisme abstrait américain qui a évolué dans les années 1950 aux côtés de Pollock et Rothko. Deux grands noms de l’art moderne qui racontent le récit d’une filiation : c’est le moteur de cette exposition, qui parvient subtilement à faire dialoguer deux œuvres ambitieuses et singulières.
Plusieurs toiles de Soutine dévoilent les portraits et paysages de cet artiste maudit qui aimait triturer la matière pour donner vie à des peintures « éruptives », à la palette violente et contrastée et aux épaisseurs irrégulières, dans le sillage d’un Van Gogh envoûté. Une gestuelle fiévreuse qui lance une véritable décharge à de Kooning lorsqu’il découvre ces toiles aux Etats-Unis dans les années 1930 : « J’ai toujours été fou de Soutine, de toutes ses peintures » ne cessera-t-il de répéter tout au long de sa vie. Une inspiration qui s’inscrit dans les tableaux de l’artiste américain, où d’épaisses couches de matière recouvrent les nus énormes et monstrueux de la série Women. Entre la figure et l’informe, entre le rythme et la chair, une cinquantaine d’œuvres illustre ces heures expérimentales qui lient à jamais deux artistes inclassables du XXe siècle.
Focus sur… Le village, Chaïm Soutine (1923)
Si Soutine s’empare ici d’un sujet classique – un paysage – c’est pour le soumettre à des distorsions spectaculaires et vertigineuses, rejetant toute perspective. Les arbres, les maisons et les collines sont renversées dans une représentation tourmentée qui privilégie le sentiment à une observation stricte de la nature. Une toile qui appartient à une série de neuf peintures réalisées à Cagnes, dans le sud de la France, où Soutine écrira son mal-être en 1923 au galeriste parisien Léopold Zborowski : « Je voudrais quitter Cagnes. Ce paysage que je ne peux plus supporter… ». Une anxiété palpable qui ouvre le champ à l’expressionnisme naissant, au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Focus sur… Woman in landscape III, Willem de Kooning (1968)
« La beauté me devient irritante. J’aime le grotesque. C’est plus joyeux ». Avec sa série de portraits féminins, Willem de Kooning revient à la figuration pour mieux la distordre. Tout comme Soutine, il travaille la chair à coups de pinceau vigoureux et agressifs. Le corps disloqué se perd dans un amas de blanc, de vert, de bleu et d’orange. Il semble en transe sous les nombreuses couches tantôt épaisses et rugueuses, tantôt fines et translucides. A travers ses cratères, ses émulsions et ses griffures, la matière fait ressentir la chair, celle-là même que de Kooning percevait comme une étoffe dans les toiles de Soutine.