Il est courant que les pièces de théâtre sur la politique suscitent de l'appréhension. Parodier les hommes politiques est devenu si courant qu'il est devenu facile, voire commercial même, de se contenter de surfer sur une série de clichés pour flatter la sensibilité idéologique d'un auditoire, souvent au détriment de la pertinence et de la performance scénique qui finissent reléguées au second plan. C'est donc avec cette inquiétude en tête que nous sommes entrés dans la salle du théâtre de la Contrescarpe pour voir "Jacques et Chirac".

Il n'a cependant fallu qu'une dizaine de minutes pour que tous nos doutes soient éclipsés. Sans même parler du contenu de la pièce, le travail en matière de réalisation suffit à nous convaincre. C'est simple, le décor est parfaitement utilisé. Il est pourtant assez minimaliste : de vieux écrans rétro disposés au fond de la scène, une table qui, au besoin, devient un petit canapé, une boîte qui sert parfois de poste de télévision et... c'est tout ! Mais cela suffit, tant la fluidité avec laquelle la scène se transforme au gré des scènes est impeccable. Une qualité salutaire au vu des ambitions de la pièce.

Car des changements, il y en a beaucoup ! La pièce nous embarque dans un voyage à travers le temps, de l'enfance de Jacques Chirac au début des années 1940 à sa mort récente. Quatre-vingts années donc, qui se déroulent en un peu plus d'1h20 sans que jamais la succession nous paraisse étrange grâce à la performance des trois acteurs qui, de Bernadette Chirac à Nicolas Sarkozy, ont réussi à parfaitement incarner tous les rôles. À travers ce parcours haut en couleurs, c'est non seulement l'évolution de Jacques Chirac et des politiques, mais aussi notre propre évolution que l'on voit être représentée sur scène. Combien de nos idéaux de jeunesse avons-nous sacrifiés à des considérations pratiques et matérielles ? À travers son protagoniste, la pièce nous invite subtilement à nous poser la question.

Il ne faudrait cependant pas croire que "Jacques et Chirac" nous fait plonger dans un état morose et mélancolique, bien au contraire. Entre les nombreuses et hilarantes références à la vie politique de la Ve République, les running gags comme L'EQNEP (on ne vous dit pas ce que c'est, mais croyez-nous, ça vaut le coup), les combats de boxe entre présidents et les chansons entraînantes, c'est un moment drôle, presque festif que l'on passe au théâtre de la Contrescarpe.

Finalement, toutes nos appréhensions ont donc été balayées d'un revers de la main. À vrai dire, la pièce a même dépassé nos attentes. Car malgré son ton humoristique et sarcastique, la pièce est finalement très engagée, faisant la lumière sur de nombreux scandales autour de l'ancien président, son entourage, son implication dans la Françafrique et son association avec de nombreux dictateurs et cupides industriels. On ressort donc conquis, en s'empressant d'aller acheter le texte de la pièce auquel sont joints de nombreux approfondissements sur les différents faits évoqués dans la pièce. Et on ne peut que vous recommander d'en faire de même...