Patricia Piccinini : Réalisme monstrueux
Le simple terme de « monstre » est ambivalent. Il peut s’apparenter à quelque chose d’effrayant, qui hante nos cauchemars, souvent lié à l’irrationnel et au mystérieux. Mais il se définit également comme quelque chose que l’on exhibe, qui fascine et révulse en même temps, qui nous pousse à regarder tout en voulant détourner les yeux. Aux XIXe et XXe siècles, des cirques se servaient des handicaps de leurs employés pour gagner en popularité, inventant le « monstre de foire », cet homme défiguré que les gens payaient pour contempler.
C’est cette ambiguïté qui fascine Patricia Piccinini. Cette artiste australienne née en 1965 et diplômée des Beaux-Arts se spécialise dans la sculpture de créatures hybrides hyperréalistes évoquant à la fois l’humain, l’animal et le monstrueux. Ce qui intéresse la sculptrice, c’est la nature. Une nature mise à mal par l’évolution, les progressions de la science et ses expériences. Une nature transformée par le biais des chimères, des mutations et de la biotechnologie. Une nature qui finalement devient cultivée par l’homme, et se transforme malgré elle, jusqu’à devenir une caricature monstrueuse d’elle-même.
Les créations de Piccinini sont elles aussi hybrides. Un mélange de synthétique et d’organique, liant silicone et plastique avec cheveux et poils. Elles représentent des créatures à la fois attachantes et repoussantes, touchantes et répugnantes aux expressions étrangement humaines. Celles-ci sont d’ailleurs souvent placées à côté de sculptures humaines, comme pour instaurer une confiance entre les deux, transformant ses monstres étranges en animaux de compagnie ou même en mères bienveillantes.
Parmi ses sujets favoris, l’on remarque les nourrissons. Ces sculptures, d’autant plus dérangeantes qu’elles sont liées à l’innocence, nous présentent souvent des bébés difformes, aux visages âgés, rongés par les rides, ou tout simplement hideux : mains manquantes, yeux gigantesques… Pour l’artiste cependant, l’important est de conserver un regard scientifique, impartial sur ses créations. Elle représente simplement une mutation rendue possible par les changements naturels et causée par l’homme, une sorte de futur macabre où les humains deviennent des bêtes. Selon elle, il est important de créer un art réaliste, sans quoi « il est difficile pour le public d’interagir avec celui-ci ».
Parmi les nombreux projets de Piccinini, l’un d’eux est apparu sur les réseaux sociaux en 2016 : Graham, l’homme capable de survivre à un accident de voiture. Pour le créer, elle fait équipe avec un chirurgien traumatologue et un spécialiste des collisions, décidant des différentes modifications à apporter au corps humain pour que celui-ci puisse survivre à un tel choc. Le résultat est terrifiant : la tête élargie à la manière d’un casque, un cou absent aux ligaments multiples, des sacs d’airs placés entre chaque côte, des pieds déformés comme ceux d’un félin pour pouvoir bondir et échapper au danger… Le survivant a tout d’un monstre chimérique.
Les créations de l’artiste sont donc un mélange étrange de réalisme et de merveilleux, peuplé de créatures hybrides, suscitant le dégoût, comme un avertissement déguisé à la science et sa volonté de manipuler la nature.