Andres Serrano : Baroque ou blasphème ?
L’art baroque apparaît dès le XVIIème siècle en Italie et se propage rapidement en Europe. Il se caractérise notamment par des thèmes plus réalistes, plus crus mis en valeur par une esthétique et une composition harmonieuses. Les thèmes récurrents de violence, de puissance religieuse, de sacrifice et de réflexion sur la mortalité dominent, créant des œuvres dramatiques, où le fort contraste des couleurs et les jeux de lumière accentuent la gravité des sujets traités.
Andres Serrano, photographe américain né en 1950 admire ce mouvement artistique depuis ses débuts. D’éducation catholique, et admirateur du style de Caravage, l’artiste créé avec beaucoup de passion, dans un univers teinté de noirceur, puisque selon lui « il ne peut y avoir de bon sans mauvais ».
Au cours de sa carrière, Serrano a développé et nourrit une réputation d’artiste scandaleux, sujet à controverses et déchaînements. Pourtant, selon lui, son art est simplement un hommage esthétique au baroque et ne mérite pas cette réputation sulfureuse.
Cependant, scandales il y a. En 1987, il réalise sa célèbre photographie intitulée « Piss Christ », représentant le Christ sur sa croix, enfermé dans un réservoir rempli de sa propre urine. Les couleurs très travaillées de l’œuvre révèlent une formidable ambiguïté, puisque sans ce titre énonciateur, elles pourraient évoquer une immersion dans de l’ambre.
Les réactions sont virulentes : deux ans plus tard, le sénateur républicain Jesse Helms utilise la photographie comme exemple parlant pour condamner l’art contemporain, coûtant de l’argent pour produire un résultat outrageux. Au cours de ce même discours, il refuse d’appeler Serrano un « artiste ».
En 2011, alors que Piss Christ est exposé à la Collection Lambert d’Avignon, un groupe de protestants chrétiens vandalise et casse l’œuvre. Peu après, Barack Obama la condamne, comparant la démarche à des créations anti-islamistes et la qualifiant de « blasphème ».
Pour le photographe, pourtant, sa création ne se veut pas choquante. Puisant à nouveau dans l’art baroque, il se compare à Caravage, qui utilisait à l’époque le cadavre d’une prostituée comme modèle pour la Vierge Marie. Pour lui, Piss Christ n’est qu’une représentation réaliste, moins noble de la crucifixion, où la victime saigne et se voit contrainte de faire ses besoins sur elle-même.
Si les intentions de Serrano semblent innocentes, le résultat semble, lui, causer la colère de tous. Toutefois, ce Christ plongé dans l’urine pourrait sembler bien sage comparé à une série photographique de l’artiste, passée relativement inaperçue.
Repoussant les limites du bon goût, Serrano se lance dans une création autour de « La Morgue ». Photos de cadavres, détails morbides, corps abimés, recousus, déformés… la série est choquante, glaçante et choque. La sombre réalité des sujets et de leurs blessures mortelles baigne les réalisations d’une atmosphère sordide. Un nouvel écho à la Vierge Marie de Caravage sans doute.
Serrano refuse pourtant à nouveau de reconnaître la dimension scandaleuse de cette nouvelle série, expliquant qu’elle représente pour lui une quête spirituelle sur la mort, montrant l’impuissance de l’homme face à une telle force. Une pensée somme toute baroque…