Picasso-Rodin, regards croisés entre les maitres dans une double exposition au musée Rodin
Musée Rodin
Du 19 mai 2021 au 6 mars 2022
Picasso. Rodin. Deux géants réunis pour une double exposition événement. Une fois n’est pas coutume, nous vous emmenons aujourd’hui dans deux musées à Paris, au musée Rodin et au musée Picasso. Deux lieux, pour accueillir deux génies qu’une génération sépare, deux précurseurs qui ont ouvert la voie à la modernité dans l’art. Avis aux sceptiques qui ne voient pas de lien particulier entre Auguste Rodin et Pablo Picasso, leurs deux musées parisiens prennent le pari de nous faire changer d’avis avec une relecture croisée de la création de ces deux géants.
C’est ainsi que nous pénétrons dans la cour de l’Hôtel Biron, accueillis par les Bourgeois de Calais de Rodin qui semblent donner la réplique aux Baigneurs de Picasso. Enigme pour certains, évidence pour d’autres. Il s’agit ici d’aborder la question de la représentation, celle des émotions qui animent l’humanité : passions, violences, amours. Une des plus belles pièces de cette exposition est certainement la tapisserie monumentale de Guernica de plus de sept mètres de long réalisée par Jacqueline de La Baume à la demande de Picasso lui-même, confrontée ici à la Porte de l’Enfer de Rodin : deux visions de la destinée humaine radicalement différentes par la forme mais qui se rejoignent par leur message. Autre icône évoquée ici, l’incontournable baiser de Rodin qui prend un tout nouveau sens en regard de l’interprétation plus charnelle et sauvage du maître espagnol.
La promenade se poursuit au musée national Picasso dans un dialogue secret sur leurs processus créatifs, ici dans ce somptueux hôtel particulier du XVIIe siècle qui n’est autre que le musée détenant la plus large collection d’œuvres de Pablo Picasso au monde. Qui dit processus créatif dit évidemment atelier, alors ne vous étonnez pas de découvrir de nombreux plâtres, comme pièces représentatives de la pensée créatrice de l’artiste. Si certains peuvent se sentir perdus devant des rapprochements formels parfois déroutants, d’autres percevront que nous sommes ici dans un laboratoire des formes, un lieu où la création bouillonne, rempli de fragments sans cesse recomposés, faisant des oeuvres inachevées, des illustrations de l’impulsion créatrice. La pièce maîtresse de cette exposition est sans doute la venue exceptionnelle d’un Penseur de Rodin, mis en regard de la Grande Baigneuse au livre de Picasso : l’artiste catalan y reprend plus de 80 ans plus tard, la même attitude repliée, tout en semblant donner vie à un personnage minéral étonnant.
Si les liens entre les œuvres peuvent parfois manquer d’évidence visuellement, c’est qu’il faut aller chercher du côté du geste artistique dans sa dimension vitale, voire pulsionnelle.
Deux artistes qui s’affranchissent des normes en vigueur pour atteindre un art intemporel et qui ne saurait souffrir d’aucune comparaison. L’exposition se veut poétique, révélant des similitudes inattendues à qui saura les décrypter. Certains pourront regretter une approche parfois un peu pointue, qui réjouira assurément les initiés dans la relecture inédite du travail de ces deux génies.
Pour la première fois, le musée national Picasso-Paris et le musée Rodin se réunissent pour présenter une exposition commune autour de deux artistes de génie. Chacun à sa façon, Picasso et Rodin ont profondément métamorphosé les codes de la représentation de leur temps. Auguste Rodin prend ses distances avec les sujets historiques et mythologiques en vogue à la fin du XIXe siècle pour s’intéresser à la structure même du corps humain dans sa nervosité, ses désirs et ses souffrances. En rupture avec le naturalisme, il met au point un nouveau langage expressionniste qui n’échappera pas à la polémique. Dans une démarche similaire, Pablo Picasso s’embarque sur le chemin du cubisme avec Les demoiselles d’Avignon (1907), souvent considérée comme la toute première toile cubiste, convoquant lui aussi un nouveau rapport au réel, plus brut et éloigné des codes académiques de la peinture. Picasso et Rodin n’hésitent pas à intégrer des éléments naturels dans leurs œuvres et renouvellent l’horizon de la représentation, s’affranchissant des normes en vigueur pour atteindre un art intemporel.
Picasso chez Rodin
Commencez donc votre visite par le musée Rodin, où le parcours de l’exposition s’articule autour de la crise de la représentation du début du XXe siècle dont les deux artistes furent les figures de proue. Vous découvrirez à cette occasion le sublime Hôtel Biron de la rue de Varenne, où Rodin installe ses ateliers en 1908, et son jardin merveilleux où trônent aujourd’hui les plus belles sculptures du maître, dont son célèbre Penseur. Lors de votre arrivée, vous serez accueillis par le monument des Bourgeois de Calais de Rodin, déplacé pour l’occasion juste devant l’entrée du musée et auquel fait face le groupe de Baigneurs de Picasso : deux œuvres qui illustrent leur approche novatrice du groupe sculpté, dont la mise en relation témoigne de l’importance nouvelle donnée au point de vue du spectateur dans le rapport de la sculpture à l’espace. Après une balade bucolique dans le jardin de sculptures, vous pénétrerez donc dans les espaces aérés et enluminés de l’Hôtel et de ses salles boisées, où vous vous imprégnerez des œuvres de Picasso qui s’invitent exceptionnellement dans l’antre rodinienne, nous donnant l’impression d’assister à une révolution des modalités de la représentation de l’époque, que ce soit à travers leur rapport à la nature, au réel ou aux arts premiers. Une des plus belles pièces de cette exposition est certainement la tapisserie monumentale de Guernica (plus de sept mètres de long) réalisée par Jacqueline de La Baume à la demande de Picasso lui-même, confrontée ici à la Porte de l’Enfer de Rodin (6,35 mètres de haut) : deux visions de la destinée humaine qui, malgré leurs différences formelles, sont habitées par le même sentiment de terreur et de cruauté.
Au musée Rodin : Le Baiser, Auguste Rodin, 1885
Au coeur du parcours du musée Rodin, vous assisterez à la confrontation du célèbre Baiser (1885) de Rodin, qui constituait originellement une partie de La Porte de l’Enfer, exposé à côté de la toile de Pablo Picasso intitulée Le Baiser, Mougins (1969) avec laquelle on ne peut s’empêcher de tisser des liens, alors que plus de quatre-vingts ans séparent les deux oeuvres. Ici l’amour passionnel est quasiment cannibale et l’on retrouve ce style primitiviste cher à Picasso. Ce rapprochement témoigne de la filiation entre deux artistes qui ont exprimé chacun à leur manière la dimension vitale, voire pulsionnelle, de l’acte artistique.
Le saviez-vous ?
Le Musée Rodin, hébergé au sein de l’Hôtel Peyrenc de Moras dit Hôtel Biron (achevé en 1732), a ouvert en 1919, soit deux ans après la mort du sculpteur. Cet hôtel particulier, situé rue de Varenne dans le 7ème arrondissement de Paris, possède un magnifique jardin de sculptures dans lequel trônent fièrement les plus œuvres emblématiques de Rodin parmi lesquelles Le Penseur, Les Bourgeois de Calais et La Porte de l’Enfer. Rénové en 1993, le jardin se divise en deux parcours : le Jardin d’Orphée, articulé autour d’Orphée implorant les dieux (1892), et le Jardin des Sources. Une parenthèse enchantée dans l’univers poétique d’Auguste Rodin.
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