Spécial château Île-de-France: Monte-Cristo, la folie des grandeurs
CHÂTEAU DE MONTE-CRISTO
Il voulait tout. Tout, et tout de suite. Alexandre Dumas, au sommet de sa gloire en 1844, ne se contentait pas d’écrire des romans d’aventure, il vivait l’aventure. Son château ? Ce n’était pas une demeure, c’était un manifeste. Une déclaration d’extravagance, une réplique architecturale de son génie. On ne bâtit pas un simple toit lorsqu’on s’appelle Dumas. On érige une légende. L’argent coule à flots. Les Trois Mousquetaires triomphent, Le Comte de Monte-Cristo explose les ventes, et l’écrivain, qui pense plus vite qu’il ne respire, veut son royaume.
Il confie le projet à Hippolyte Durand, un architecte capable de répondre à son seul cahier des charges : faites-moi quelque chose d’impossible. Impossible ? Un château néo-Renaissance ciselé comme une boîte à bijoux, posé sur une colline, entouré d’un parc fabuleux ? Des façades sculptées à sa gloire, ornées de motifs fleuris et de références à ses propres œuvres ? Un petit pavillon néogothique isolé sur une île, baptisé Château d’If, pour écrire en paix comme Edmond Dantès dans sa geôle ? Il l’a fait.
Dumas a créé un château à son image : démesuré, raffiné, fantastique, et pourtant habité par une douceur inattendue. Il y reçoit tout Paris, il en fait son théâtre personnel, un lieu où l’on vit avec faste, où l’on mange avec excès, où l’on boit le champagne comme s’il allait manquer demain. Les dîners deviennent des événements. Les écrivains, les artistes, les politiques, les courtisanes, les aventuriers du siècle, tous veulent voir Monte-Cristo. C’est Versailles revisité par un dramaturge. Les salons scintillent, les allées bruissent de rires, on disserte, on intrigue, on s’aime, on se jalouse, on se perd dans les jardins rocaille où serpentent des cascades factices et des grottes mystérieuses. Les buffets débordent. Il faut voir Dumas à table, un œil rieur, une plume dans une main, une cuisse de poularde dans l’autre, lançant une phrase inachevée qui deviendra une réplique de théâtre le lendemain. Il boit à son succès, il trinque au génie, il jubile de cette vie de prince des lettres.
Mais les dettes, elles, n’ont pas d’humour. Elles s’accumulent, insidieuses. Parce qu’un château de conte de fées se paye au prix du réel, et que même le plus grand des feuilletonistes ne peut pas écrire assez vite pour entretenir un rêve d’une telle ampleur. Les créanciers frappent à la porte, et cette fois, ils ne viennent pas pour dîner. 1848, Dumas doit vendre. Son Monte-Cristo lui échappe, comme un héros de roman voit son destin lui glisser entre les doigts. On imagine la scène. L’homme, immense, le sourire un peu plus triste, faisant une dernière tournée de son domaine. L’eau coule toujours dans les rocailles, les sculptures veillent en silence. Un palais né de l’imagination d’un homme est plus fragile qu’une forteresse de pierre. Il part. Il rêvera ailleurs, à Bruxelles, en Russie, en Italie. L’épopée continue, mais le cœur y est-il encore ? Son château demeure, mais lui est condamné à l’errance.
Aujourd’hui, le Château de Monte-Cristo est toujours debout, plus vivant que jamais. Il accueille les visiteurs, spectateurs émerveillés de cette folie de pierre, écrin d’un homme qui a cru que la littérature pouvait bâtir un empire – et qui avait presque raison. Dumas n’a jamais été raisonnable. Il a été immense, flamboyant, libre. Et dans ce château, dans chaque pierre sculptée, dans chaque ombre portée par les arbres centenaires, nous sentons encore sa présence.
Un pas dans le château et, soudain, l’Histoire s’emballe. Une porte claque, un cavalier surgit, une épée luit dans la lumière tamisée des vitraux… Bienvenue dans la visite théâtralisée du Château de Monte-Cristo, là où le passé refuse de rester sage. Ici, pas de silence muséal ni de panneaux explicatifs poussiéreux : Dumas reprend les commandes, et ses personnages jaillissent des murs pour vous entraîner dans leurs complots et leurs éclats de rire. Un mousquetaire vous chuchote une confidence, un intrigant vous glisse une lettre mystérieuse, une héroïne s’évade sous vos yeux… et vous voilà pris au jeu, entre capes et bravades. Chaque dernier dimanche du mois, le château se transforme en scène vivante, faisant du romanesque un roi et du spectateur son complice.
A partir de 14h
Tarifs : 11 € - TR: 2 € - Gratuit -3 ans.
Le saviez-vous ?
Parmi les trésors du château, le salon mauresque est une véritable merveille d’Orient, née de l’imagination flamboyante de Dumas après un voyage en Algérie. Mais l’écrivain ne s’est pas contenté de ramener des souvenirs : il a fait venir un artisan algérien directement sur place pour créer ce décor digne d’un palais des Mille et Une Nuits. Boiseries sculptées, faïences éclatantes, motifs en arabesques… Un morceau d’Orient posé au cœur de l’Île-de-France, au cœur duquel Dumas venait s’évader quand la réalité devenait trop fade – ou trop pressante.
CHÂTEAU DE MONTE-CRISTO
Chemin du Haut des Ormes, 78560 Le Port-Marly
Mar. et jeu. 10h-12h30, 14h-18h, mer. et ven. 14h-18h, sam. et dim. 10h-18h, fermé le lun.
Tarif : 9 € - TR : 7 € - Gratuit -8 ans