Un Tintin pour 3,2 millions d'euros !
Tonnerre de Brest ! Ce jeudi 14 janvier, une illustration unique du Lotus bleu de Tintin par Hergé s'est vendue 3,2 millions d'euros à la maison de ventes aux enchères Artcurial. Un record pour un dessin original de bande-dessinée. Estimé entre 2 et 3 millions d’euros, ce dessin inédit enflamme les collectionneurs en raison de son histoire, contestée par plusieurs spécialistes du célèbre reporter à la houppette. Si sa véracité est certaine, pourquoi la maison d'édition Casterman s'est-elle séparée d'un tel dessin ?
Un dragon rouge
Selon la maison de vente parisienne Artcurial, cette sublime illustration, partie le 14 janvier 2021 pour 3,2 millions, devait être la couverture initiale de Tintin et Le Lotus bleu, le cinquième album de la série de bande dessinée d’Hergé, publié en 1936. Comme dans celle que l’on connait, on y voit les célèbres acolytes Tintin et Milou dans un grand vase Ming en porcelaine bleue. Mais cette fois-ci, l’immense dragon est rouge sur un fond noir, proche de l’estampe. D’après les héritiers de l'éditeur Casterman (une affirmation vantée à son tour par Artcurial), ce dessin à la gouache daté de 1936 avait été proposé par Hergé à son éditeur Casterman, qui l’a refusé pour son coût de reproduction élevé en raison de couleurs bien trop intenses. Hergé était donc invité à simplifier sa copie, présentant l’iconique couverture connue de tous. Sans jeter son œuvre, le dessinateur l’offre à Jean-Paul Casterman, le fils de son éditeur alors âgé de sept ans qui la conserve précieusement. Plus tard, Hergé lui signera et la gouache restera cachée jusqu’à cette exceptionnelle mise en vente. Une histoire « éminemment suspecte » pour le spécialiste d'Hergé, Philippe Godin.
Une simple esquisse de travail ?
Un doute partagé par d'autres experts de Tintin. Selon eux, Hergé n’a jamais voulu faire de cette gouache la couverture de son album, elle n’était qu’une esquisse de travail que le dessinateur a plié et envoyé à son éditeur sans intention de la publier. « C’est une ébauche très poussée, mais on voit que le dessin n’est pas terminé. Le visage de Tintin n’est pas totalement fini. Jamais Hergé n’aurait proposé ce dessin pour être publié tel quel », explique son biographe Benoît Peeters.
C’est en examinant la correspondance de l’auteur, conservée par Casterman, que l’on découvre qu’Hergé a envoyé le dessin à son éditeur le 12 février 1936. Dans le même courrier, une lettre précise qu’il s’agit d’un « premier projet de dessin de couverture ». Selon le spécialiste Philippe Godin, auteur de nombreux ouvrages sur Tintin, Hergé avait pour habitude d’envoyer des lettres accompagnées d’illustrations à son éditeur pour évoquer ses projets. Plusieurs preuves qui mettent en doute la présentation faite par Artcurial de la gouache. L’histoire du petit garçon gardant secrètement un dessin inédit du plus célèbre auteur de bande dessinée pourrait donc avoir été romancée par la maison de vente. La vraie raison de cette vente ne serait-elle pas autre ? Pourquoi la maison d'édition Casterman s'est-elle séparée d'un tel dessin, à la valeur aussi importante ? On murmure que des problèmes financiers seraient à l'origine de la volonté de l'éditeur de se séparer, à contrecœur, de cette unique gouache d'Hergé.