Quand un piano prend feu en plein concert
Oui, vous avez bien lu! N'ayez crainte, aucun blessé dans ce qui relève non pas de l'incident mais bel et bien de la performance artistique. L'art contemporain n'en finit décidément pas de nous surprendre. Cette fois, c'est Annea Lockwood qui réalise ce pied-de-nez magistral au monde très huppé de l'art et de la musique classique en prenant part au mouvement Fluxus. Né dans les années 1960, celui-ci touche autant aux arts visuels qu'à la musique et la littérature. Initié par George Maciunas, Fluxus a pour objectif de remettre en question les formes classiques de l'art pour en dépasser les frontières traditionnelles. Il s'inscrit notamment dans la mouvance des courants de pensée initiés par Marcel Duchamp, John Cage, les dadaïstes et les surréalistes qui remettent tant en cause le statut même de l’œuvre d'art que le rôle de l'artiste et sa place dans la société, dans une lecture souvent satirique et burlesque de ces rapports ambigus. Annea Lockwood (1939), compositrice américaine d'origine néo-zélandaise, est à ce titre connue pour ses noyades et combustion de pianos.
Piano Burning, genèse d'une performance
La pièce, intitulée Piano Burning, fut en fait composée par Annea Lockwood en 1968. La partition précise à cet effet que le piano utilisé par l'interprète pour cette performance nécessairement éphémère doit être irréparable: celle-ci « devrait être faite avec un piano droit; la structure est bien plus belle que celle d'un grand quand on la regarde brûler. Le piano doit toujours être un piano irrécupérable, sur lequel personne ne pourrait travailler, qu'aucun accordeur ou reconstructeur ne pourrait rapporter. ». La saynète est minutieusement détaillée: le pianiste doit tremper un papier dans un liquide inflammable qu'il doit ensuite embraser, avant de le déposer dans le piano pour que celui-ci prenne feu, puis il doit commencer à jouer cette pièces aux consonances jazz, et la continuer aussi longtemps qu'il lui en est possible avant que le feu ne dévore totalement l'instrument. Piano Burning complète ainsi sa série Piano Transplants, qui comprend également Piano Drowning, Piano Garden et Southern Exposure.
C'est Yōsuke Yamashita qui interpréta la pièce pour la première fois en 1973, dans un court-métrage intitulé Burning Piano et réalisé par le graphiste japonais Kiyoshi Awazu. C'est également lui qui la rejoue dans cette vidéo, datée de 2008, alors qu'il est âgé de 66 ans et cette fois vêtu d'une combinaison protectrice, en improvisant ses variations sur le piano en feu sur fond de coucher de soleil sur une plage de l'ouest du Japon. Il déclara alors à l'issue de cette seconde représentation: « Je ne pensais pas risquer ma vie mais j'étouffais presque à cause de la fumée qui pénétrait continuellement dans mes yeux et mon nez. J'avais décidé de continuer à jouer jusqu'à ce que le piano cesse de produire des sons, alors même si je ne le pensais pas, cela a fini par avoir une bataille à vie ou à mort entre le piano et moi. ».