Faust au Théâtre National de l'Opéra-Comique – L’éternel vertige du pacte, en pleine lumière
THÉÂTRE NATIONAL DE L’OPÉRA-COMIQUE
Du 21 juin au 1er juillet
Un homme fait un vœu. Il veut retrouver la jeunesse, la puissance, le désir. À peine formulée, sa requête éclate comme un éclair dans la nuit : le diable entre en scène, élégant, terrible, irrésistible. Dans ce pacte inaugural, tout est déjà dit. Et pourtant, c’est tout un monde qui va basculer. À l’Opéra-Comique, Faust retrouve sa demeure historique dans une production d’une précision rare, traversée de signes, de visions, de fractures. Sous la baguette de Louis Langrée, Valentin Schwarz signe une mise en scène aussi acérée que suggestive, nourrie par la dramaturgie discrète mais décisive de Denis Podalydès, les costumes troublants de Christian Lacroix, et la rigueur scénique d’Eric Ruf.
Ce Faust n’est pas celui du XIXe flamboyant, ni celui du pacte grandiloquent. C’est un monde froid, contemporain, glissant. Schwarz évacue la tentation de l’allégorie pour faire de ce conte une fable mentale, un récit de glissement moral, orchestré comme une dérive. La scénographie d’Éric Ruf — épurée, presque clinique — offre des espaces qui se referment comme des pièges. La lumière tranche. Le sol glisse. Les murs pivotent. Tout semble réel, mais rien ne tient. Sur cette scène piégée, Christian Lacroix habille les personnages de signes somptueux. Les silhouettes sont allongées, spectrales, baroques sans être datées. Marguerite semble sortie d’un songe gothique, Méphistophélès d’un carnaval noir. Le costume devient ici un second langage, un halo symbolique, qui en dit plus long que le livret.
Et c’est là qu’intervient Denis Podalydès, dont le travail dramaturgique donne au texte une respiration précise, une texture incarnée. La réintégration des dialogues parlés — fidèles à l’esprit de Gounod et à la tradition de l’Opéra-Comique — devient une matière scénique à part entière. Pas un simple retour aux sources, mais une volonté de faire entendre les transitions, les hésitations, les non-dits. Cette articulation entre chant et parole, entre lyrisme et prose, renforce la tension intérieure du récit.
Benjamin Bernheim incarne un Faust lucide et tragique, jamais flamboyant, toujours fragile. Sa ligne de chant est pure, son jeu d’une sobriété bouleversante. Jeanine De Bique donne à Marguerite une intensité vocale saisissante, toute en contrastes, entre ferveur et effroi. Christian Van Horn, en Méphistophélès, impose une présence impérieuse, à la fois séductrice et inquiétante, jamais caricaturale. Le chœur Accentus, l’Orchestre des Champs-Élysées sur instruments d’époque, et la direction souple et inspirée de Langrée tissent un écrin musical d’une justesse souveraine.
On ressort de ce Faust comme d’un rêve fêlé. Tout y est à la fois somptueux et austère, spectaculaire et intérieur. Une œuvre traversée par l’effondrement des illusions, où la jeunesse n’est qu’un mirage, et l’amour une innocence sacrifiée. Cette production, pensée par un quatuor d’artistes exigeants, ne flatte jamais le regard : elle le trouble, le travaille, le laisse en suspens.
THÉÂTRE NATIONAL DE L’OPÉRA-COMIQUE, 75002
Du 21 juin au 1er juillet
Par D. Podalydès
Du lun. au sam. à 20h, dim. à 15h
De 6 à 175 €
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