La Seconde Surprise de l’Amour au Théâtre de la Porte Saint-Martin – L’éveil du sentiment
THÉÂTRE DE LA PORTE SAINT-MARTIN
Du 4 juin au 13 juil. 2025
Ils sont deux à fuir l’amour, mais leurs regards les précèdent. Ils disent « jamais plus » en feignant d’y croire. Et peu à peu, malgré eux, la parole les trahit. Le trouble les devance. Chez Marivaux, l’amour ne se déclare pas : il se découvre dans le pli d’une phrase, dans le sursaut d’un silence. Sur la scène du Théâtre de la Porte Saint-Martin, Alain Françon orchestre cette mécanique du cœur avec une élégance sèche, une clarté rare. Pas de marivaudage décoratif ici. Ce que l’on voit, c’est le lent travail de la langue sur les âmes blessées, l’éveil d’un désir que tout en soi refuse mais que rien ne peut contenir. Anouk Grinberg est cette Marquise retranchée dans le deuil, le refus, la fierté. Elle avance en équilibre sur le fil du ressentiment, la voix légèrement voilée, le corps en réserve, dans une forme d’élégance cabossée. En face, Gaël Kamilindi, Chevalier vibrant et retenu, apporte une intensité vive, un éclat douloureux presque juvénile. Ensemble, ils tissent une relation d’abord rugueuse, faite de heurts, de désaccords, d’orgueil mal contenu — jusqu’à ce que, peu à peu, la surprise du sentiment fasse effraction dans le discours. Autour d’eux, la distribution est d’une justesse précieuse. Grégory Gadebois donne à Hortensius, le philosophe moralisateur, une densité calme, presque stoïque, qui tempère les élans. Sharif Andoura, en valet à la fois rusé et lucide, fait entendre la vérité populaire du théâtre, ce contrepoint essentiel aux embarras aristocratiques. Pierre-François Garel et Mélodie Richard complètent la distribution avec un sens du rythme et du regard qui porte jusque dans les replis du texte.
Françon, comme à son habitude, ne cherche ni l’effet ni le décor. La scénographie est réduite à l’essentiel : quelques meubles, un espace clair, traversé de lignes nettes et de lumières sobres. C’est le plateau nu qui devient chambre d’écho du verbe. Tout se joue dans les infimes déplacements, dans la tension d’un geste ou l’interruption d’une réplique. Le théâtre ici est un théâtre d’écoute — pas celui de l’émotion immédiate, mais celui du sentiment à l’état naissant, celui qui se débat, qui résiste, qui ne sait pas encore s’avouer. La Seconde Surprise de l’Amour n’est ni la première, ni la plus célèbre des pièces de Marivaux. Mais c’est peut-être l’une des plus subtiles, la plus intériorisée, la plus humaine aussi. Françon la fait entendre avec une rigueur sans raideur, une gravité sans pesanteur. Ce qu’il met en scène, ce n’est pas l’amour tel qu’on le rêve ou tel qu’on le joue — mais l’amour tel qu’il surgit quand on ne le veut plus, dans ce moment fragile où le cœur trahit la volonté. On ressort de cette surprise-là avec le sentiment d’avoir vu quelque chose de rare : non pas une leçon de théâtre, mais une démonstration d’intelligence sensible, portée par des comédiens d’exception et un metteur en scène qui n’a plus rien à prouver, sinon sa fidélité absolue à ce que la langue peut encore révéler du cœur.
THÉÂTRE DE LA PORTE SAINT-MARTIN, 75010
Du 4 juin au 13 juil. 2025
De Marivaux
Du mer. au ven. à 20h, sam. à 20h30, dim. à 16h
De 13.50 à 49.50 €
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